BOIRE OU CONDUIRE, IL FAUT CHOISIR !
On voit souvent le paysan français comme un fonctionnaire européen vivant des subsides de la PAC (Politique Agricole Commune). En gros, puisque notre agriculture n’est pas performante et nos coûts de production trop élevés, il faut subventionner cette activité pour défendre notre indépendance alimentaire.
Je côtoie régulièrement des agriculteurs et je peux vous dire que je n’ai jamais ressenti ce côté fonctionnaire chez les travailleurs de la terre. Ce métier est dur. Les hommes et les femmes qui l’ont choisi sont des passionnés. Et comme tout le monde, ils doivent s’adapter à un monde en perpétuel mouvement. S’adapter, cela signifie notamment de trouver de nouvelles sources de revenus. La production d’énergies renouvelables en est une, et beaucoup d’exploitants agricoles l’ont compris. Dès les débuts de l’essor du photovoltaïque, nombreux furent les toitures agricoles à se parer de panneaux solaires. Parfois, les bâtiments qui portaient les panneaux n’avaient pas grande utilité, paradoxe d’une loi mal faite dont l’essence était détournée. Les premières centrales solaires, qui ont une quinzaine d’années, profitent encore de tarifs très élevés de rachat d’électricité. Si l’on construisait les mêmes centrales aujourd’hui, le prix de rachat de l’électricité serait cinq à sept fois moindre (110 €/MWh contre 720 €/MWh).
Parmi tous ceux qui ont choisi de prendre des risques autour de 2010, rares sont ceux qui le regrettent. L’électricité vendue à prix garantis et indexés pendant vingt ans à EDF complète avantageusement les revenus agricoles. Ces revenus complémentaires sont parfois devenus nécessaires à la survie de l’exploitation agricole. Ceux qui se sont lancés dans la méthanisation ont eu moins de chance, mais, souvent, il suffira d’attendre suffisamment longtemps pour bénéficier des retours sur investissement, plus aléatoires mais plus durables que dans le solaire.
Dans les deux cas, les agriculteurs se voient reprocher le détournement de terres arables pour produire de l’énergie, que ce soit par des cultures dédiées à la méthanisation comme le maïs, ou la couverture de sols par des panneaux solaires. Ainsi, les sols serviraient davantage la mobilité que l’alimentaire. Mais est-ce vraiment quelque chose de nouveau sous le soleil ? Se nourrir ou se mouvoir, l’éternel débat. Il n’y a pas si longtemps, la moitié des champs servaient à nourrir les chevaux du royaume. Et qu’étaient ces chevaux, sinon le moteur de la mobilité de l’époque ? Au Brésil, un gros tiers des vingt millions de voitures fonctionne à l’éthanol issu de la canne à sucre. Du carburant, ou du rhum. Boire ou conduire, il faut choisir…
On parle désormais d’agrivoltaïsme. L’idée, c’est de faire cohabiter une exploitation agricole et des panneaux solaires produisant de l’électricité. Évidemment, ce n’est pas possible dans tous les cas : c’est incompatible avec des champs de céréales ou des vergers. Mais c’est tout à fait envisageable pour des prairies ou des vignes. Dans certains cas, cela ferait même du bien aux plantes en réduisant l’ensoleillement direct trop violent pendant l’été.
Certaines sociétés proposent de louer des terres agricoles pour développer l’agrivoltaïsme. Le revenu de la location, qui s’ajoute éventuellement au revenu agricole, peut se chiffrer à deux ou trois mille euros par hectare et par an. Quand on sait qu’un hectare de prairie vaut entre cinq et six mille euros, le revenu locatif assure à lui seul un excellent rendement de 30 à 60% au propriétaire du sol. Cela donne à réfléchir, et cela risque d’entraîner une inflation spéculative sur le prix des terres agricoles.
D’un autre côté, il serait idiot de se priver de toute cette électricité bon marché. Est-ce si choquant que l’agriculteur soit obligé de se faire énergéticien pour pouvoir continuer à vivre de son travail ? Cela revient à subventionner notre alimentation par la production conjointe d’énergie, qui plus est renouvelable. Et il vaut certainement mieux que ce soit ceux qui travaillent la terre de génération en génération qui profitent de cette manne énergétique, plutôt que de se retrouver obligés de vendre leurs exploitations agricoles et familiales à de grandes sociétés pétrolières en recherche de crédits carbone.
Pour en savoir plus, voir le reportage de France 3 Régions : Installer des panneaux photovoltaïques sur des terres agricoles : ces projets qui sèment la discorde dans la Nièvre
M. François Piot