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Partie 6 : La transition énergétique, vous en êtes où ?

LOUEZ : L’USAGE PLUTÔT QUE LA PROPRIÉTÉ

Une des tendances lourdes de notre société est de privilégier l’usage, d’abandonner l’idée de détenir les biens, et de les louer quand on en a besoin. Seulement quand on en a besoin.

De façon évidente, avoir plusieurs utilisateurs pour un seul et même objet augmente son taux d’utilisation, donc son utilité, et réduit le besoin de biens matériels – ce qui est une bonne chose pour notre planète et notre porte-monnaie. Le partage de l’usage entraîne de conséquents gains de productivité qui doivent se partager équitablement entre les utilisateurs et le loueur détenteur, qui peut aussi être lui-même utilisateur (la solution idéale).
Mais cette équation mérite quelques précautions. Prenons l’exemple d’une flotte d’autocars. C’est un exemple que je connais assez bien, puisque Prêt à Partir a repris Lambert Locations il y a quatre ans. Lambert Locations, avec une flotte de près de 400 véhicules, est le leader de la location de bus et cars sans conducteurs en France.
Tout d’abord, c’est bien connu qu’on prend moins soin de son appartement quand on en est locataire que lorsqu’on en est propriétaire. Pour les véhicules, c’est pareil, et c’est assez naturel. Deux moyens de pallier ce sous-entretien qui risque de finir par limiter la durée de vie du véhicule : soit pratiquer la location longue-durée (supérieure à 18 mois), avec une maintenance à la charge du locataire, soit faire passer régulièrement le véhicule dans des ateliers spécialisés pour des remises à niveau en profondeur. Cela n’est en général pas possible dans une entreprise de transport, qui travaille souvent dans l’urgence et la pénurie. Pour que cette maintenance soit efficace, rien de tel qu’une organisation spécialement dédiée à la location extérieure, qui impose la rigueur qu’on peut attendre d’un Avis ou d’un Hertz…
Par ailleurs, pour pouvoir partager l’usage d’un véhicule entre plusieurs utilisateurs, il faut évidemment que le besoin des différents utilisateurs ne tombe pas au même moment. Car, même si un autocar est par définition mobile, il faut justement refaire un check-up complet entre deux locataires. Et c’est ce qui arrive pour une partie de la flotte de Lambert Locations, qui connaît chaque année trois pics de locations : les premiers mois de l’année scolaire où nos clients attendent la livraison de véhicules neufs, la saison de ski dans les Alpes, et la saison touristique. Cette année, nous allons connaître un mois de juillet olympique, qui risque de bousculer un peu nos habitudes…

L’autre frein à la location multi-utilisateurs, c’est l’évolution technologique. On l’a connu dans l’informatique, avec les locations évolutives. Avec la loi de Moore et la prophétie du doublement de la puissance des ordinateurs tous les deux ans, les vendeurs d’ordinateurs nous proposaient de changer nos machines tous les deux ou trois ans pour bénéficier des ordinateurs les plus puissants. Sauf que, dans la pratique, personne ne louait des PC d’occasion déjà dépassés, et le loyer constant de la location surenchérissait le capital restant dû sur le parc informatique, qui n’était jamais remboursé, malgré la baisse régulière du coût des machines… C’est ce qui risque de nous arriver avec la transition énergétique. Les batteries qu’on trouve aujourd’hui dans les véhicules électriques n’ont rien à voir avec celles des véhicules des années 2030. La technologie, bien qu’ancienne, va fortement évoluer, avec des gains de rendement et des baisses de prix.

En aparté, je le constate en ce moment sur les panneaux solaires que nous exploitons. Il y a une douzaine d’années, nous avons installé des centrales photovoltaïques sur des toitures agricoles, typiquement des centrales de 250 kW de puissance. Cette année, nous allons changer nos panneaux qui ont vieilli : sur la même surface, nous allons pouvoir installer des centrales dont la puissance avoisine les 400 kW ! Soit un gain de 60% de puissance, pour un coût divisé par 5 !

C’est cette évolution technologique galopante qui freine les investissements de nos clients. Pourquoi acheter aujourd’hui un autocar électrique, si l’autocar de demain aura plus d’autonomie et coûtera nettement moins cher ? Là encore, la location paraît une bonne solution d’attente. Cela permet de donner du temps au temps. Mécaniquement, l’augmentation des volumes de livraison de véhicules électriques va faire chuter les coûts de revient. C’est pourquoi le marché de l’occasion des véhicules électriques sera inexistant, faute de demande et de véhicules d’occasion plus chers que des neufs… Ce qui est assez paradoxal, puisque pour rendre le surcoût de l’électrique acceptable, il va falloir prolonger la durée de vie de ces véhicules, ce qui donne du sens au rétrofit, mais j’y reviendrai dans une future chronique.

Reste à définir au mieux le partage de la valeur ajoutée, et la rémunération du risque du loueur. Dans la rémunération du loueur, il faut tenir compte, outre le coût du véhicule et de son volatile financement, des check-ups réguliers et d’un taux d’utilisation qui ne peut être de 100% quand les utilisateurs sont multiples. Et il faut aussi prendre en compte le risque d’obsolescence précoce d’un véhicule thermique qui ne pourra peut-être plus circuler n’importe où dans quelques années, et celle d’un véhicule électrique déjà dépassé par des batteries plus efficientes… Pour toutes ces raisons, la location ponctuelle d’un véhicule coûte a priori plus cher que sa détention.

Mais cela ne tient pas compte du fait que l’utilisateur ne loue le véhicule que quand il en a besoin ! Avec la location, fini les investissements, fini les frais financiers, fini la dette… Et bonjour la liberté ! Alors, on commence quand ?

M. François Piot

avril 2024